Réalisé à partir du vécu personnel, du "Livre d'Or" des Arts et Métiers et d'une thèse écrite par A. Raulin ("Les Arts et Métiers, une micro-société", Libertés publiques, 1992).
Qui n'a pas entendu parler de nous et de nos traditions, voire par des articles de presse ou télévisés qui ont abordé le sujet très sensible de l'usinage, comparé malheureusement au bizutage de mauvaise renommée et donc sûrement mal interprété par certains.
Je vais donc essayer de vous décrire simplement (sans faire un roman !) notre statut qui est en fait historique.
Comme chacun le sait, l'entrée dans une grande école ne se passe pas sans un "bizutage" (dit-on !). Passage inévitable, le bizuth suit généralement trois phases : la coupure avec ses proches et l'arrivée dans un monde inconnu, la prise en main suivie d'une révolte, et enfin le baptême de Promotion avec la réconciliation. Le bizuth n'a plus le même statut qu'auparavant.
Dans certaines écoles, le bizutage ne dure que quelques jours, histoire que les étudiant se connaissent mieux, et qui se pratique généralement sans violence. Dans certaines facultés par contre, les pratiques sont souvent humiliantes, voire inacceptables, ce qui implique, à forte raison, des luttes actives contre ces méthodes. Et puis il y a la dernière catégorie, très controversé mais dont nous défendons ses principes, où le bizutage (que nous allons désormais appeler usinage car ce terme est reconnu par tous les Gadz'Arts) est pratiqué sur une durée plus longue, minutieusement préparé par les deuxièmes années, et qui a pour finalité l'appartenance à une promotion, c'est à dire vivre pour et avec elle. En d'autres termes, il s'agit de promouvoir une conscience collective dans le respect individuel qui se confirme par l'adoption d'un surnom unique dans toutes les promotions (comme les scouts), d'instaurer des relations privilégiées entre tous les individus d'un même groupe en vertu de nobles valeurs telles que la solidarité et la fraternité.
Pour mieux comprendre nos convictions, il faut remonter un peu l'histoire de France jusqu'au 18ème siècle. François-Alexandre-Frédéric, d'abord Duc de Liancourt, ensuite Duc de la Rochefoucault, sort en 1763 de l'Ecole Militaire de Flèche pour commencer à voyager. Il ira notamment en Grande Bretagne, où l'industrie et le commerce étaient en plein développement, et il y ramènera en France de nombreuses notions.
De retour dans sa ferme de la Montagne à Liancourt (Oise) - qui peut être visiter et abrite le musée national Gadz'Arts -, il concrétise en 1780 deux de ses grandes idées. Il crée ainsi :
Le Duc occupait également des fonctions à la cour du roi Louis XVI, et participait activement à toutes les mesures d'administration et de bienfaisance qui marquèrent le début du règne. Il fut élu député de la noblesse, et en 1789, lorsque la révolution éclata, il partagea, dans la chambre de la noblesse, les opinions de la minorité. Un mandat d'arrêt est lancé contre lui, et il s'exile en Grande Bretagne puis en Amérique.
Il fut le premier à rentrer en France lorsque cela fut permis aux émigrés (1799), mais démuni de tout ce qu'il avait pu posséder (fortune, rang, fonction, etc ...). Cependant, des relations s'instaurèrent avec Napoléon. Retrouvant son école, mais ne correspondant plus à ce pourquoi il l'avait créée, et sans les moyens financiers nécessaires, elle fut transférée à Compiègne en 1800, où elle prit un caractère plus industriel. Aidé de Napoléon, qu'il qualifiait ces ouvriers de "sous officier de l'industrie", et de M. Chaptal (alors Ministre de l'intérieur), ils nomment cette école-manufacture "Ecole d'Arts et Métiers". Après un décret du 5 septembre 1805, elle fut transférée à Chalon sur Marne. Cette même année, le Duc est nommé inspecteur des Ecoles d'Arts et Métiers. L'école d'Angers est fondée en 1814, sur les critères suivants :
Ces derniers éléments font partis des bases fondatrices des Traditions de notre école.
Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, il convient d'analyser différents facteurs qui font que la transmission de ces valeurs subsiste de nos jours.
De part le manque de technicien de niveau moyen, le recrutement se faisait dans le milieu ouvrier malgré l'inquiétude des bourgeois quant au niveau de vie de cette classe. L'objectif du Duc était de présenter à l'industrie des cadres inférieurs, techniquement compétents et socialement sûr, exécutant loyalement les ordres et pouvant surveiller une équipe d'ouvriers. Difficile de changer les mœurs, les ouvriers voyant d'un mauvais œil d'avoir des contremaîtres de formation scolaire. De plus, la plupart des élèves étaient des enfants de soldats ou des orphelins. De part ce niveau de classe sociale, l'ambiance à école était en conséquence (vols, chahuts, révoltes, évasions). L'école de Chalon fut donc placée sous un régime militaire, jusqu'à la fin du XIXème siècle. Les conditions de vie étaient exécrables, et l'administration tenait une place prépondérante. Cela aboutit à la mise en place d'une culture de refus, à l'émanation d'un esprit Gadz'Arts (à l'époque pour lutter contre l'administration), au développement de traditions qui permettront d'inculquer cet esprit aux nouveaux venus. Napoléon voulant former "un produit social acceptable" à partir de la classe ouvrière, qui refusait cette "moralisation " qui leur était destinée, et de part les conditions de vie et ce régime autoritaire, des révoltes violentes eurent lieu. Ce fut la naissance de la culture de refus.
Condition de vie sévère donc, puisque placée sous le régime militaire. Les punitions de l'époque allaient de la privation de sortie (qui était la promenade du dimanche) à la mise aux arrêts ou encore jusqu'à l'emprisonnement. Le moindre geste était notifié, et l'élève pouvait être rapidement renvoyé définitivement de l'école : "l'élève à la merci de l'administration". Cela durera jusqu'au début du XXème siècle. Les conditions d'hygiène étaient également précaires : il y avait peu de moment pour se laver, mais la décence était obligatoire sous peine de sanction. Finalement, il était difficile à l'époque d'être un élève des Arts et Métiers, et l'ensemble de ces facteurs ont contribué à l'instauration de cet esprit Gadz'Arts et au développement des Traditions.
L'esprit Gadz'Arts, élément moteur, est indissociable des Traditions, qui servent à la mise en œuvre. Cet esprit est resté de nos jours, mais le contenu a complètement évolué.
Au début du XXème siècle, l'école fut démilitarisée, l'administration faisant appel à un personnel moins strict et plus instruit, en espérant améliorer les relations avec les élèves. Ce passage à un régime civil provoqua le déclin de sa puissance. Les traditions subsistèrent alors qu'elles auraient dû disparaître, prenant ainsi le relais de l'administration. De là, né le Comité de Tradition (1899-1900) qui veille à la bonne transmission de ces valeurs, et l'école n'étant plus sous le régime militaire, ce comité allait diriger de plein droit la vie Gadzarique. L'esprit a évolué puisque dans les années 1900, on est passé d'un esprit de lutte contre l'administration à un esprit de corps. Les Traditions demeurent, mais réadaptées pour cette nouvelle finalité ; les violences physiques ont totalement disparu. Certaines manisfestations font appel à l'entraide physique (un corps sain dans un esprit sain). Durant les "usinages" (maintenant "transmission des Traditions"), le conscrit est désormais plus amené à réfléchir, à se remettre en question au sein du groupe.
Voici deux citations connues de tous les Gadz'Arts , et qui résument bien cet esprit :
"Enlever aux Arts leurs Traditions, il ne restera qu'un bahut : Fraternité, c'est là notre devise"
"Les professeurs feront de vous des ingénieurs, vos anciens feront de vous des Gadz'Arts"
Mais pourquoi "usiner" ? Les premières années viennent principalement de classe préparatoire, où durant deux ans ils ont travaillé de façon acharnée, à être le premier pour décrocher le concours, ce qui a renforcer leur individualisme. Cet esprit pourrait se résumer à "chacun pour soi, Dieu pour tous". Cette période doit les convaincre de raisonner de la façon suivante : "tous pour un, un pour tous" (pas si facile !). Le jeune étudiant est invité à connaître l'expérience de vie en groupe où l'individualisme et les éventuelles différences sociales vont progressivement faire place à la sincérité, des rapports avec autrui, à la tolérance et au désir de servir la collectivité. J'ai bien dit invité, ce qui implique qu'à tout moment il peut refuser ...
On pourrait discuter longuement de ces transmissions, tel n'est pas le but : je voulais expliquer le pourquoi de notre existence. De plus, "la Tradition, ça se vit, ça ne se raconte pas ..."
Maintenant qu'en est-il de la vie de Promotion d'un Gadz'Arts, pendant comme après ces études ...
Avant tout, l'appellation Gadz'Arts vient de "gars des Arts" (qui s'applique exclusivement à l'ENSAM). Etre Gadz'Arts, ce n'est seulement l'obtention d'un titre, mais c'est un mode de vie, l'entretien de son image, ce qui implique un réel investissement personnel.
Certes, dans un groupe de 150 personnes il y a toujours des extrêmes, et les Arts n'y échappent pas (le même pourcentage dans toute société). Lors de sa scolarité, le Gadz'Arts va pouvoir ainsi développer son sens des responsabilités, individuelles et collectives, de l'organisation, son dévouement notamment lors de manifestations de grandes envergures (Baptêmes de Promotion, rencontre intergadzarique, Grand Gala de Paris à l'Opéra Garnier, forum Arts et Métiers, actions humanitaires et sociales, et autres initiatives de toutes natures ...). Ce n'est pas seulement durant ces trois années de vie commune, que le climat de confiance, aussi bien matériel qu'intellectuel, est instauré, sinon pour toute sa vie et à l'ensemble du monde Gadz'Arts. Sa capacité de mobilisation est, par ailleurs, une des ses qualités reconnues par le monde extérieur. Cet enseignement des valeurs n'a pas pour but de fondre le nouveau venu dans un moule, mais de permettre à chacun de s'épanouir et de mûrir en se frottant aux réalités de la vie en groupe (l'éducation ne prévoit pas d'examen pour ça !)
Mais le Gadz'Arts garde sa réputation depuis des dizaines d'année, celle d'un ingénieur qui "bosse", qui anime son entreprise, son département ou son équipe. C'est déjà à travers les Transmissions et la vie en communauté que nous apprenons à travailler en justifiant et défendant notre choix, à écouter les autres, à organiser, à planifier, à mettre en œuvre. Plutôt pragmatique, et de formation généraliste (mécanique, électronique, informatique, robotique, génie industriel, mais aussi économie, gestion, sciences humaines), il n'est pas spécialisé dans un domaine technique précis et peut ainsi développer un sens critique et un jugement pertinent reconnus. Il évolue et réussit, le plus souvent dans la discrétion, car il sait s'effacer au profil de ceux qui lui ont fait confiance. Cette dimension humaine s'ajoute à notre formation technique très large et nous destine généralement à jouer le rôle de chef d'orchestre au sein d'une entreprise ou d'un département.
Que vous dire de plus sinon de venir voir par vous-même et de discuter avec nous lors d'une de nos manifestations (Baptême, Grand Gala) dans l'un des centres de l'ENSAM (Aix en Provence, Angers, Bordeaux, Cluny, Chalon en Champagne, Lille, Metz ou Paris). Vous pouvez également rencontrer nos parents (non Gadz'Arts !) qui se sont regroupés aussi en association, ayant pu apprécier notre comportement durant ces années d'études.
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